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Hier
soir, aux alentours de 10h00, alors qu’il se préparait à quitter la station
Lucien L’Allier où il jouait régulièrement du violon depuis plus de cinq ans
pour gagner sa vie, Cristóbal Cortés meurt à la suite de ses blessures
infligées par douze coups de couteau dans la poitrine et dans le dos. La scène
tragique s’est produite devant huit témoins oculaires qui s’accordent tous
pour dire que l’assaillante, une adolescente d’une quinzaine d’années, a fondu
sur lui sans raison apparente et s’est aussitôt mise à le marteler de coups
sans qu’aucune dispute ne précède la violente attaque. La communauté
latino-américaine est encore sous le choc. La police, bien qu’elle ait
appréhendé la suspecte, n’est pas parvenue à retrouver son identité. D’après
le détective Bryan Bruce, qui est en charge de l’enquête, la suspecte aurait
franchi illégalement les frontières canadiennes puisqu’elle ne parle ni
français ni anglais, qu’on n’a retrouvé sur elle aucun document pouvant
indiquer son origine, sa résidence, ou même son nom… »
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Le commissaire
en chef Alain Bourru dépose l’exemplaire du Devoir, datant de la semaine
passée, avec autant de délicatesse qu’un juge furieux qui abat son marteau
pour demander le silence dans l’assemblée. Bryan reste de marbre. Son
supérieur toise avec mépris les pièces à conviction déposées sur son bureau
–poignard taché de sang, bijoux en or, un corsage ainsi qu’une jupe desquelles
la suspecte était vêtue au moment du crime, puis enfin le rapport qu’a déposé
devant lui le jeune Bruce il y a à peine dix minutes. Il s’adresse au
Détective d’un ton aussi bourru que son nom de famille :
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« Rappelle-moi
encore pourquoi je t’ai mis en charge de cette affaire?
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–Monsieur, avec
tout le respect que je vous dois…
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–Cinq
ans, Bruce! Ça fait cinq ans que t’attends une affaire de meurtre! Et quand je
t’en donne enfin une, où on a de surcroît arrêté une suspecte qui a près d’une
dizaine de témoins sur le dos, toi tu me balances
ces
résultats-là dans face! Pis tu t’attendais à quoi, une promotion?
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–Monsieur,
l’enquête que j’ai menée est tout ce qu’il y a de plus sérieux, et très
sincèrement avec les éléments auxquels j’ai été confronté, ces résultats sont
parfaitement vraisemblables…
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–Une
Aztèque! »
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Le vieux
Bourru se met à rire, au risque de faire tomber l’éternel mégot de cigarette
qui reste, par miracle, toujours accroché à ses lèvres.
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« Et qu’est-ce que tu veux qu’on
rapporte à la population, ou aux journaux? Un Montréalais assassiné par une
princesse venue de l’époque de la découverte de l’Amérique! Ça ferait un
méchant sujet de film!
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–Les analyses au carbone 14 situent
pourtant les boucles d’oreilles en or cérémoniales qu’elle portait, vers la
fin du XVème siècle, début du XVIème… Et comment
expliqueriez-vous qu’elles n’ont pas la moindre trace d’usure? On dirait
qu’elles sortent à peine du bijoutier!
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–Je n’explique rien, Bruce. Mon
rôle à moi c’est de mettre un gars un peu moins incompétent que toi en charge
de l’affaire pis d’attendre, tranquillement assis sur mon gros derrière, que
t’en arrives à des résultats concluants!
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–Et d’où croyez-vous qu’elle les
ait sortis, ces bijoux? À quinze ans, quoi, elle a cambriolé un musée? Elle a
participé à des fouilles archéologiques au Mexique?
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–En tout cas c’est un peu moins con
déjà que d’affirmer que c’est une Aztèque!
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–Et ses vêtements? À moins quinze
dehors, elle se promène en jupe et en corsage! Et sa physionomie qui ressemble
trait pour trait aux gravures qu’on a retrouvées, datant de l’époque
précolombienne?
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–Une minorité visible. Tu l’as dit
toi-même, une immigrante clandestine…
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–… qui ne parle pas d’autre langue
que le nahuatl? Tu sais combien de temps ça m’a pris pour trouver un
interprète?
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–Y t’a pas servi à grand-chose, à
ce que je vois! T’as même pas réussi à coller un prénom sur sa face!
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–Âzcalxôchitl.
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–Quessé qu’tu viens de dire?
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–C’est le nom qu’elle a donné. »
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Affichant un air de
bouledogue stupéfait, le commissaire fixe Bryan comme si celui-ci venait de
lui dire que la reine d’Angleterre s’appelle Élizabeth Taylor. Un soupire.
Alain fourre la main dans sa poche à la recherche d’un briquet, puis écrase
enfin son mégot pour s’en allumer immédiatement une autre.
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« Et cette demoiselle a donné une
raison pour avoir sauvagement agressé ce monsieur, ou ça faisait simplement
partie de ses coutumes?
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–J’y arrive. C’est justement le
meilleur morceau de l’histoire, écoutez bien : à l’aide de l’interprète, on a
tout d’abord essayé de lui poser les questions habituelles, du genre où elle
habite, ce qu’elle faisait là, si elle connaissait cet homme… Échec total.
Elle était aussi hystérique qu’une fan de Britney Spears le jour du concert.
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–Belle comparaison.
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–Merci, j’ai une petite sœur.
Alors, après lui avoir donné des sédatifs, on a réessayé un peu à l’écart, où
il y avait moins de monde, moins de lumière, et on l’a laissée parler. Bon,
d’après moi, l’interprète a compris à peu près la moitié de son récit –il faut
dire qu’elle articulait pas toujours clairement, avec la dose de calmants
qu’elle avait reçue, ç’aurait été difficile de faire autrement…
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–Arrive aux faits, Bruce.
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–Elle
semblait s’adresser à un certain Tezcatlipoca.
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–Le dieu de
la mort? »
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Bryan considère le commissaire avec un certain étonnement. Gêné,
celui-ci hausse les épaules et maugrée quelque chose à propos d’un voyage au
Mexique avec sa femme l’hiver dernier…
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« Bon, quoiqu’il en soit, continue
le jeune policier, elle semblait convaincue qu’elle n’était plus de ce monde.
Elle se croit à Mictlan, ou quelque chose comme ça. Mais dans la fabulation
qu’elle nous a débitée à vitesse grand V, elle a mentionné plusieurs fois le
nom de Cortés…
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–Le type qu’elle a liquidé?
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–Non, justement. On pense qu’il
s’agirait plutôt d’Hernándo Cortés, le conquistador espagnol qui est venu à
bout de la cité de Tenochtitlan ainsi que de l’empire aztèque. Elle affirme
qu’elle serait la fille de Moctezuma II, dernier empereur « mexica ». D’après
son récit, elle entretenait une liaison secrète avec un « macehualli » –un
soldat, de classe sociale inférieure à la sienne. En tant que royauté, elle
devait montrer l’exemple et une liaison interdite de ce genre était passible
de peine de mort… Bref, avec l’arrivée des Espagnols, son père était bien trop
occupé à offrir à Cortés –que les Aztèques ont tout d’abord pris pour un dieu-
tout l’or qu’il voulait pour remarquer quoique ce soit. Alors une nuit, notre
chère suspecte sort en douce rencontrer son amant et elle le surprend avec un
soldat espagnol nommé Argüello : apparemment, son naïf bien-aimé lui révélait
que l’empereur ne leur a montré qu’une infime partie de son trésor, le reste
ayant été caché derrière une porte secrète dans un temple… Le soldat avertit
Cortés, qui décide de vérifier l’exactitude de ses propos. Le capitaine,
accompagné de quelques soldats, découvre effectivement la porte qu’on avait
tentée de dissimuler peu avant, et lorsqu’il s’aperçoit à quel point les
richesses de l’empereur sont énormes, il prend peur pour sa vie en pensant que
les Aztèques chercheront à les assassiner. La suite, on la connaît tous :
Cortés prend l’empereur en otage et les Aztèques s’aperçoivent que les
Espagnols ne sont ni invincibles, ni des demi-dieux. La guerre éclate :
Argüello est fait prisonnier et sacrifié, et les Espagnols sont contraints de
se réfugier dans le palais où ils sont assiégés pendant plusieurs semaines.
Massacres dans les deux camps; Moctezuma, toujours un otage, est tué par son
propre peuple par des lancers de pierres lorsqu’il annonce publiquement être
devenu le vassal de Charles Quint. Les peuples asservis par les Aztèques se
rangent du côté des Espagnols, qui finissent par vaincre. Tenochtitlan tombe
en ruines. C’est la fin des Aztèques.
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–Quand je voudrai un cours d’histoire, Bruce, je te le dirai! Quel rapport
avec l’affaire?
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–Eh bien, voilà : Argüello, apparemment, n’était pas seulement soldat mais
aussi violoniste. En échange de la précieuse information que lui a communiquée
l’amant de la princesse, il a offert à celui-ci son instrument. Quand elle
apprend ce qu’il a fait, trahie, la princesse finit par assassiner son
prétendant. C’est là qu’elle vole le poignard. En retournant au palais, elle
est prête à avouer à son père et le meurtre et la liaison secrète dont elle
était coupable, quitte à encourir la peine de mort, quand, manque de chance!
Le palais est assiégé par les Espagnols et son père est pris en otage. Elle se
réfugie donc parmi le peuple en attendant que les choses se calment.
Cependant, à la mort de son père la princesse avoue ses crimes auprès de son
oncle Cuitláhuac, successeur de Moctezuma. Il décide de la pardonner mais
meurt peu après de la variole, pendant le siège de Tenochtitlan. Une épidémie
amenée d’Espagne par les conquistadores… Lui succède alors le cousin de la
princesse, Cuauhtémoc, qui lui fut véritablement le dernier empereur aztèque.
Il est torturé par les Espagnols pour avouer où sont cachés ses trésors, mais
refuse de parler. Résistance héroïque absolument inutile, il est pendu peu
après… »
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Le commissaire, ennuyé, fait un signe de la main lui indiquant
d’accélérer son récit.
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« Bon, en fait tous ces événements (le siège du palais, la mort de son père…)
tombaient aux alentours d’une fête dans le calendrier aztèque célébrant
justement Tezcatlipoca, le dieu des morts auquel notre suspecte adressait son
histoire. Qui dit fête aztèque dit aussi sacrifices humains, et pour le dieu
des morts on devait justement donner chaque année un beau jeune homme et
quatre jeunes filles pour… enfin, je vous épargne les détails.
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–Dieu merci.
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–Ainsi, puisqu’elle se sentait coupable de la mort de son père et de tous les
massacres qu’une guerre entre Aztèques et Espagnols peut engendrer, la
princesse s’est proposée de servir symbolique d’épouse au dieu des morts, et
ainsi d’accompagner le jeune homme qui était habituellement immolé en haut de
la pyramide de la lune, pour mourir avec lui. Alors ils l’ont revêtue d’habits
cérémonials, de bijoux festifs et de tout ce que voici, et devant ses yeux le
prêtre responsable des sacrifices a arraché à vif le cœur de son divin époux…
Puis quand est venu son tour, terrifiée, elle s’est jetée du haut de la
pyramide pour ensuite atterrir ici… à Montréal. »
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Conscient de l’extravagance de sa conclusion, Bryan marque une
pause dans son récit tout inspirant un bon coup, pour se préparer à la pluie
de reproches qu’il ne va pas manquer de recevoir dans quelques petites
secondes.
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« Et tu veux me dire pourquoi tu me sors ce conte de fées de ton chapeau?
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–De deux choses l’une : ou bien cette fille est une psychopathe droguée qui a
passé beaucoup trop de temps sur Wikipédia, en proie à une réminiscence de sa
vie antérieure; ou bien elle est réellement qui elle dit qu’elle est, et par
conséquent le violoniste qu’elle a assassiné –parce qu’il s’appelait Cortés,
qu’il parlait espagnol et qu’il jouait du violon- lui a, malheureusement pour
lui, rappelé sa propre histoire. Pensant qu’elle était morte, la princesse
décide de venger son peuple et surtout, de se venger sur Cortés… »
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Un mégot de cigarette pend maintenant à nouveau aux lèvres du
commissaire. Sans le jeter ni plus le fumer, Alain le promène de droite à
gauche entre ses dents sans chercher à dissimuler sa nervosité. Au moment où
il s’apprête enfin à parler, Bryan le devance :
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« Je sais très bien que ni l’une ni l’autre de mes hypothèses n’est
satisfaisante. Mais sachez que je n’en serais jamais arrivé à écrire un
rapport basé sur une telle histoire s’il n’y avait pas autant d’indices qui
laissent supposer que c’est vrai… J’ai tenté d’expliquer logiquement la
présence des boucles d’oreilles, son absence d’identité, le fait qu’elle ne
parle et qu’elle ne comprenne qu’une langue qui est censée être morte… j’ai
cherché d’autres réponses! Mais la vérité est qu’il n’y en a pas. Sans
aucun indice attestant d’où elle vient et comment elle est arrivée ici,
monsieur le commissaire nous avons appréhendé une suspecte qui virtuellement
n’existe pas! »
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C’est alors qu’Alain Bourru tape de nouveau sur la table avec
l’exemplaire usé du Devoir contenant l’article sur Cortés, et ainsi rétablit
le silence plus efficacement qu’il ne l’aurait fait en criant. Bryan déglutit
difficilement, lui-même surpris par sa propre audace.
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« Une Aztèque!, se répète-t-il alors en grinçant des dents. Un voyage dans le
temps! »
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Le commissaire se lève et se met à faire les cent pas dans son
bureau assombri par la fumée de cigarette. Jamais personne avant Bryan n’avait
bravé l’odeur de nicotine insupportablement forte du bureau d’Alain Bourru
aussi longtemps qu’il ne l’a fait à présent. Le jeune détective le suit des
yeux. Soudain, son supérieur se retourne vers lui :
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« Pis qu’est-ce qu’on annonce à la population, hein!
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–Pour expliquer le phénomène, ça ne tient plus de moi! Il faudrait engager des
scientifiques, partir une recherche, contacter le FBI…
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–Il est hors de question de passer une minute de plus ni de dépenser un dollar
de plus pour cette affaire! », crie-t-il alors de toutes ses forces –tellement
qu’il en devient vert-, échappant à terre son éternel mégot pour la première
fois de sa carrière.
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Bryan tressaille sur son siège.
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Toc-toc. On cogne à la porte. Mais qui est l’idiot qui peut bien
cogner à la porte du commissaire Bourru? Tabarnaque, j’te dis qu’c’est
mieux d’être important… Le vieil officier grassouillet s’avance
difficilement jusqu’à la poignée et en l’ouvrant, couvre presque entièrement
le cadre de la porte, et donc son interlocuteur par la même occasion. Le bruit
d’une conversation précipitée parvient à Bryan qui tend l’oreille sans le
vouloir.
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« Pardonnez-moi de vous déranger monsieur le commissaire, mais… à l’hôpital,
hier… on m’a dit qu’il fallait tout de suite vous avertir…
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–Donnez-moi ça. »
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Un claquement de porte. Pas de beuglements. Ça devait être
important.
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Le commissaire fait entièrement le tour du bureau avant de
s’asseoir, un dossier tout neuf à la main. Il l’ouvre. Il le lit. À ses yeux,
Bryan semble avoir complètement disparu de la surface de la Terre.
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Un moment passe, absolument interminable, durant lequel aucun des
deux n’émet le moindre son. Aucun doute, Alain Bourru est totalement absorbé
par le contenu de ce dossier : il en oublie même de se rallumer une cigarette!
Curieux de nature, Bryan ne tient pas en place à l’idée de savoir ce qui a
fait changer l’humeur de son supérieur aussi radicalement. En fin de compte,
il finit par se racler la gorge pour lui rappeler sa présence.
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« Hein? Ah, oui! »
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Le commissaire ouvre un tiroir de son bureau et y fourre
furtivement le dossier, parmi l’amalgame désordonné de tous les autres
dossiers, avant de croiser les bras et de retourner à Bryan. Il le fixe
longuement, les sourcils froncés comme d’habitude, mais tout en gardant le
silence. Le jeune policier soutient courageusement ce duel de regards. Un très
long moment passe.
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« Bruce, j’vais être honnête a’ec toi, j’peux pas faire grand-chose avec le
rapport que tu m’as donné. Alors j’te laisse deux choix : ou ben tu t’obstines
à dire que ta suspecte est une Aztèque qui vient du XVIème siècle,
et non seulement tu seras la risée de tout le Québec mais je peux te garantir
que tant que j’serai encore commissaire –et je prévois pas aller à la retraite
avant au moins vingt ans-, tu t’approcheras pas à moins de cent mètres d’une
autre affaire de meurtre; ou ben t’oublies l’affaire Cortés, et je te fais
Détective pour de bon. Quessé que t’en dis? »
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Un moment de silence. Bryan déglutit avec difficulté et force un
sourire. Eh bien, il n’a pas tellement le choix…
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« Félicitations, Détective Bruce. »
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Une poignée de main plus tard, Bryan est gentiment reconduit
jusqu’à la porte du bureau de Bourru. Le commissaire, qui l’a accompagné
dehors, se fait alors accoster par trois policiers disant vouloir lui
présenter un rapport depuis plus de trois semaines. La porte du bureau est
encore grande ouverte.
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« Oh, mon manteau! »
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Bryan se précipite à l’intérieur pour réparer son oubli. Coup
d’œil dehors : Bourru est assailli par une montagne d’informations de la part
de trois subalternes plutôt pressés d’en finir avec cette affaire qui traîne
depuis longtemps… Coup d’œil à l’intérieur : personne. C’est plus fort que
lui.
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Le jeune détective ouvre en toute hâte le tiroir rempli à craquer
et cherche parmi les feuilles le dossier qui l’intéresse. Il le trouve
aussitôt. Sur la première page on peut lire Hôpital Général de Montréal.
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Hier matin, la patiente 443 a
succombé à la vérole.
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La vérole. Sans chercher à voir ce que contenait le reste du
dossier, Bryan le referme d’un coup sec et le range aussitôt dans le tiroir
de Bourru.
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Il est enfin détective.
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